En Bourse aussi : conduire ou séduire, il faut choisir

Les Echos – Louis-Victor d’Herbès, président-fondateur d’Industrie Bourse International (IBI). Mardi 4 mars 2003.


Les efforts de communication déployés en 1999 et en 2000 ont conduit les investisseurs boursiers, institutionnels et particuliers, notamment dans les secteurs de la nouvelle économie, à confondre des perspectives de croissance inconnues à des perspectives de croissance infinies. Dans le même temps, des chefs d’entreprise opérant dans des secteurs classiques dits d’ « économie réelle » (en opposition avec l’ « économie virtuelle ») étaient délaissés par ces mêmes investisseurs. La raison invoquée le plus fréquemment pour justifier ce manichéisme tenait à ce que les perspectives de croissance des acteurs de l’économie réelle étaient jugées moins « séduisantes » que celles présentées par les acteurs de l’économie virtuelle.

La Bourse a ainsi vécu deux années sous l’emprise de la Séduction, loin des analyses rigoureuses, du doute créatif, du questionnement légitime. On n’a sans doute jamais connu de periode où, dans le temple de la finance, l’achat d’impulsion a été aussi fort. Pendant cette période, comment ont agi et communiqué certains chefs d’entreprise de l’économie réelle ? Et pourquoi ?

La sémantique nous dit d’un chef d’entreprise qu’il conduit celle-ci. Il ne la séduit pas, sauf s’il a besoin de prouver une légitimité en interne. On dit souvent de ce même chef d’entreprise, lorsqu’il présente son entreprise en Bourse, qu’il séduit les investisseurs. C’est seulement à la constatation des résultats atteints que ces investisseurs verront où ils ont été conduits. Conduire provient du latin « cum » (avec), « ducere » (guider) : guider avec. Une belle définition indique : « Accompagner en montrant le chemin. » Séduire provient du latin « se » (racine de détachement et de réflexion), « ducere » (guider) : guider vers soi. Le patron regarde-t-il l’horizon avec ses équipes ou se regarde-t-il lui-même ? Préfère-t-il la définition du baron Marcel Bich : « Le chef, c’est celui qui emmène les autres ou il y a à manger », ou bien croquer la pomme ?

Comment guider vers soi des investisseurs déjà occupés à suivre l’évolution de centaines d’entreprises ? En captant leur attention quelques heures pour leur présenter les atouts majeurs et vrais d’un projet industriel. « Quand vous dites quelque chose de faux à quelqu’un, c’est comme si vous donniez à un enfant une boîte de conserve avariée. Au fond, la vérité est la seule séduction fondatrice », dit François Michelin.

L’épaisseur et la couleur des plaquettes financières ne valoriseront rien de plus. La sobriété de celles des deux leaders mondiaux cités en témoigne. Du côté des investisseurs – entrepreneurs cotés en Bourse, la sobriété de celle de Warren Buffet en témoigne aussi.

Une stratégie de gestion des bonnes surprises alliée à un choix de supports de communication adaptés est aussi séduisante et payante. Un investisseur achète une vision de marché, et plus encore des prévisions lorsqu’un patron a montré leur fiabilité dans la durée. Ecoutons François Dalle « Dans nos prévisions de chiffre d’affaires, nous distinguions avec soin les chiffres normatifs des chiffres volontaristes. Les premiers avaient le caractère d’une ardente obligation, car ne pas les atteindre aurait signifié le déséquilibre de nos finances. Les seconds donnaient la mesure de nos ambitions de conquête. C’est grâce à cette discipline de tous et de tous les instants que nous réussîmes à satisfaire nos obligations vis-à-vis de la Bourse. Le cours suivait, s’enflammait même souvent. »

Commander, c’est prévoir, dit l’adage. En Bourse aussi, bien commander, c’est bien prévoir. Un patron et son équipe conduisent l’entreprise pour elle-même, non pour la Bourse. Les meilleurs dentre eux visent la sécurité pour leurs affaires et pérennisent ce qu’ils ont construit, quitte à le transmettre à d’autres parties ou non de leur environnement familial. Les investisseurs ont soif de la trajectoire montante, non du doigt qui la montre. Ils ne demandent pas de caution personnelle aux dirigeants. La seule garantie dont ils disposent est de savoir qu’ils s’associent à un capital représentant l’essentiel du patrimoine d’un chef d’entreprise. Les entreprises à capitaux familiaux ou à influence familiale érigent ainsi une barrière concurrentielle vis-à-vis des investisseurs quasi insurmontable par les autres entreprises. Les investisseurs suivent alors ces patrons et leurs équipes, et acceptent de se laisser conduire pour un terme aussi long que possible: pourquoi vendre, sauf nécessité impérieuse, des actions versant un dividende régulier et dont la valeur monte toujours ? À la sincérité d’une promesse donnée dans l’instant doit correspondre la vérité et la réalité que forge un engagement à long terme. Conduire ou séduire : il faut choisir.

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