L’épidémie de Corona Virus est une immense vague décapante néfaste aux entreprises qui ne disposent pas d’une trésorerie suffisante pour surmonter leur perte d’activité.
Avant d’inventorier les recettes possibles d’une régénération et non d’un colmatage, concentrons-nous d’abord sur l’entreprise, parce qu’il n’est possible reconstituer des fonds propres qu’avec des entreprises aptes à les faire prospérer.
Et de la même façon que l’actif d’un bilan est financé par son passif, que l’accord sur la chose et sur son prix vaut contrat, la finance n’est utile que si elle est au service de l’entreprise.
Rappelons aussi que les fonds propres d’une entreprise sont constitués de capitaux à long terme apportés par des actionnaires qui attendent en contrepartie une rémunération composée de plus-value et de dividendes, alors que la trésorerie, quand elle n’est pas un excédent de fonds propres (sujet non traité dans cette note), est un prêt à court terme bancaire, ou une avance en compte courant des actionnaires, permettant de faire face aux besoins d’exploitation, ce prêt étant rémunéré par un intérêt sur une somme devant être remboursée ou restituée.
Les fonds propres, qui incluent le capital social divisé en nombre d’actions de l’entreprise, ne se remboursent jamais, à l’inverse des prêts à court ou à long terme (1).
Rappelons également qu’il existe deux raisons pour lesquelles une entreprise peut se trouver à court de trésorerie :
- une crise de liquidité expliquée par une raison conjoncturelle, ponctuelle et inhabituelle liée à un événement exceptionnel qui bouscule des équilibres financiers pouvant être réajustés rapidement,
- et une crise de solvabilité, dont les causes sont plus profondes et proviennent de dettes principalement financières et bancaires excessives par rapport à la capacité de remboursement. La survie devient alors compromise si un apport de capitaux propres n’est pas réalisé et concrétisé par un apport durable de trésorerie.
Avec les Prêts Garantis par l’Etat, une réponse puissante a été apportée à la fois aux crises de solvabilité et aux crises de liquidité. La question devient alors : Comment renforcer efficacement les fonds propres des entreprises présentant un risque de solvabilité ?
1. Les meilleurs fonds propres d’une entreprise sont ses résultats nets
Ce propos peut sembler d’une évidence provoquante, et pourtant ! Une entreprise en perte travaille avec l’argent des autres, ce qui n’est pas interdit, mais encore faut-il que l’entrepreneur en soit conscient afin de renforcer de toutes ses forces l’indépendance et la pérennité de son business sous peine de le voir disparaître.
Une entreprise qui dégage des résultats nets réguliers et si possible en progression est indépendante, pérenne, attractive, elle s’autofinance et emprunte sans difficulté les capitaux dont elle a besoin, elle est rémunératrice pour ses salariés et ses actionnaires.
En encourageant la performance économique et en évaluant les affaires en fonction des profits qu’elles dégagent, l’écosystème qui accompagne l’entrepreneur tient aussi un rôle clé. Déconnecter le prix des entreprises des bénéfices nets crée, à terme, des bulles destructrices de fonds propres. En adossant le prix des actions à des profits, on retrouve une réalité concrète et porteuse d’une confiance indispensable.
2. Encourager les entreprises à une progression raisonnée est régénérateur
La progression raisonnée recherche constamment la maîtrise des ressources utilisées dans le respect des exigences sociétales et environnementales afin de générer les profits à partager entre salariés et actionnaires. « Progression » signifie « amélioration continue » et non nécessairement « Croissance » à tout prix parfois trop proche de « Fuite en avant ».
Les exigences sociétales et environnementales sont porteuses d’opportunités de développement non encore identifiées, et aussi de profits. On peut trouver l’inspiration et les ingrédients d’une progression raisonnée dans le Lean management, la frugalité (2), le contrôle de gestion serré, l’utilisation d’énergies renouvelables, la réduction d’empreinte carbone, en pratiquant une écologie « décomplexée ».
Les Entreprises à mission, la Raison d’être d’une entreprise, sont autant de termes apparus dans le Loi PACTE qui structurent une démarche à la hauteur des enjeux.
Le « Devoir de conscience envers autrui » inscrit dans le Code Civil (3) est un socle à partir duquel s’élance dorénavant toute réflexion avant l’action :
« Les obligations naissent d’actes juridiques, de faits juridiques ou de l’autorité seule de la loi.
Elles peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui. »
Oui, la progression raisonnée est un facteur de constitution, de renforcement de solvabilité et d’accumulation de fonds propres pour les entreprises.
3. Valoriser l’immatériel et l’extra-financier est indispensable
L’immatériel, composé des éléments de propriété intellectuelle tels que brevets marques et licences devient essentiel dans notre économie de moins en moins industrialisée et de plus en plus orientée vers les services.
Il est indispensable que les entreprises valorisent la créativité intellectuelle qui aboutit à un actif utilisable. Celui-ci est comptabilisé tout en haut de l’actif du bilan et doit nécessairement trouver une contrepartie du même montant au passif en dette (emprunt bancaire peu probable, avance en compte courant des actionnaires plus réaliste), ou en fonds propres apportés par des actionnaires, ou encore en trésorerie disponible sans avoir recours aux actionnaires ni aux prêteurs.
La qualité des actifs immatériels est aujourd’hui encore souvent considérée avec suspicion par les apporteurs de capitaux (4), mais il existe maintenant une approche structurée d’évaluation des entreprises par le capital immatériel (5).
Les indicateurs extra-financiers (émergence de critères RSE, ISR, … comparables à des critères d’origine des produits alimentaires) sont de plus en plus utilisés dans les évaluations d’entreprises et dans la notation de leur dette. Ils contribuent à un « faisceau d’indices » de qualité d’une entreprise. La progression raisonnée décrite au point 2 est un facteur notable d’amélioration d’appréciation de la valeur d’action ou de la notation de la dette d’une entreprise qui pourra contribuer (non justifier
en totalité, pour le moment …) de plus en plus entre obtenir un financement, ou ne pas l’obtenir du tout !
4. Les fonds d’investissements en non coté n’apportent pas de
réponse, sauf exception, aux besoins de fonds propres
Les fonds d’investissements spécialisés en prises de participations au capital d’entreprises non cotées, aussi appelés fonds de « Private Equity », ont un problème.
Ils sont supposés apporter des fonds propres, ou Equity, alors que, puisque le capital doit être, dans la plupart des situations, restitué à intérêt (6) et terme prévus contractuellement dans un pacte d’actionnaires, il s’agit d’une dette. Il y a donc erreur d’étiquetage, et ce depuis 25 ans.
Lorsque j’étais chez 3i, en fin des années 80, j’investissais sans limite de durée en contrepartie d’un dividende qui était fonction du résultat des entreprises : si les résultats décollaient, le dividende décollait aussi et procurait parfois des rendements fascinants par rapport au capital investi. Ces conditions étaient claires, lisibles et parfaitement compréhensibles par les entrepreneurs.
Les fonds investissent maintenant à durée limitée pour accélérer la rotation du capital, ce qui signifie : engager le moins de capitaux possible et utiliser ces capitaux plusieurs fois dans une durée limitée entre 5 et 7 ans, ce qui est supposé augmenter le rendement de ces capitaux…
Mais rien n’empêche d’appeler un chat : « un chat » et une dette : « une dette ». Le « Devoir de conscience » évoqué oblige à respecter le sens des mots.
Les fonds d’investissements qui devraient être en première ligne actuellement ne le sont pas en raison d’une erreur d’étiquetage dont les conséquences conduisent à la cession des entreprises lorsqu’elles ne peuvent restituer le capital à l’investisseur à des taux qui peuvent doubler le montant à rendre en quelques années. Ces conséquences ont été systémiques pour les PME et non encore évaluées à ce jour.
Les PGE – Prêts Garantis par l’Etat, sont des emprunts que les entreprises comptant des investisseurs en Private Equity auront aussi à rembourser.
Certains fonds d’investissements créés par des entrepreneurs peuvent apporter une réponse aux besoins de capitaux propres car ces fonds apportent souvent l’expérience réussie de leurs actionnaires.
On ne peut renforcer les fonds propres des entreprises avec des dettes déguisées en actions, mais seulement par des investissements en actions.
5. Développer les actions de préférence
Les actions de préférences sont apparues en 2004, et sont régies par le Code de commerce (L 228-11) : « Lors de la constitution de la société ou au cours de son existence, il peut être créé des actions de préférence, avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent. »
Ces droits particuliers, inscrits dans les statuts, peuvent porter sur, par exemple :
- Le droit de vote : sans, ou double, ou supérieurs à 2 votes si la société est non cotée,
- Le droit à un dividende prioritaire, fixe, évolutif, …,
- Le droit à une information supplémentaire : situations comptables ou tableaux de bord périodiques,
- L’attribution préférentielle d’actions dans certaines circonstances,
- Nomination d’administrateurs, ….
Les actions de préférence ouvrent des souplesses variées par exemple pour mieux rémunérer des actionnaires que l’on veut attirer, en contrepartie ou non d’un exercice de droits de vote, ou de droit à une information supplémentaire … Ces actions sont insuffisamment utilisées dans notre pays, alors que nous savons évaluer leurs « droits particuliers de toute nature » (7) qui font l’objet d’un rapport de commissaire aux comptes : la protection de l’investisseur existe.
6. Développer l’actionnariat participatif et l’actionnariat boursier
J’entends depuis de longues années évoquer le « capital patient », le « capital long terme », … mais rien ne se concrétise vraiment pour les PME et les ETI.
Les formes d’actionnariat participatif et d’actionnariat boursier sont réceptives depuis de longues années aux courants porteurs qui ont conduit aux « Entreprises à mission », à la « Raison d’être », la RSE, la notion de critères extra-financiers, l’Investissement Socialement Responsable qui contribuent à la « Progression raisonnée » évoquée dans cette note.
6.1. L’actionnariat participatif est celui du Crowdfunding Equity, une des composantes du financement participatif, qui constitue le moyen intéressant d’un financement citoyen à développer. Sur 629 millions d’euros levés par la finance participative en 2019, soit +56% / 2018, un montant de 39,5 millions a été investi en actions de TPE et PME en 2019, stable par rapport à 2018. Ce montant est à comparer à 508 millions en prêts et obligations en 2019. Les 39,5 millions 2019 investis en actions sont nettement supérieurs aux capitaux levés sur Euronext Access, le compartiment d’Euronext réservé aux plus petites entreprises !
Cette source de financement participatif attire les entreprises de petite taille, ou de plus grande taille ayant des projets individualisés, par exemple un promoteur immobilier sur une opération définie.
Subsistent les plateformes sérieuses, c’est-à-dire celles qui mettent en ligne des projets qui rendent heureux des financeurs de deux sortes :
- Ceux davantage portés vers l’affectif participatif que sur le rendement ;
- Ceux portés vers un rendement plus élevé que celui qu’ils trouvent dans les placements proposés par des institutions financières plus classiques.
6.2. L’actionnariat par les marchés financiers permet d’être actionnaire d’entreprises qui offrent un cadre, parmi les meilleurs du monde, surveillé par l’Autorité des marchés financiers en France et par l’opérateur de marché européen Euronext. Ces marchés partagent la cotation précise et quotidienne d’actions qui peuvent être détenues par des investisseurs individuels, non professionnels :
- salariés, épargnants pour leur retraite (sujet brûlant),
- particuliers en quête de frissons (pourquoi pas, chacun ses frissons et ceux-ci en valent bien d’autres).
Le seul moyen pour un salarié français de constituer le capital retraite dont il aura besoin (et dont aura aussi besoin le pays, car ce n’est pas l’intérêt du pays de prendre en charge le manque d’épargne à prévoir pour une retraite) est d’accéder d’une façon ou d’une autre au capital d’une entreprise :
- qu’il a créée,
- ou dont il est salarié,
- ou dans laquelle il décide d’investir pour différentes raisons, rationnelles ou moins rationnelles : peu importe (8)
L’actionnariat par les marchés financiers est le moyen le plus naturel pour un investisseur individuel, ou pour le salarié d’une entreprise cotée, de se constituer un capital. L’actionnariat salarié, encouragé par la Loi PACTE, est à diffuser autant que possible pour renforcer et stabiliser les fonds propres des entreprises.
Le grand défaut du marché financier est le risque de surévaluation des entreprises lorsqu’elles entrent en bourse, car le prix de l’action est fixé le plus souvent presque en totalité sur des prévisions. L’improbabilité d’atteindre des prévisions n’est pas (comme de travailler avec l’argent des autres vu au point 1) au répréhensible en soi, ce qui est hautement contestable est de fixer le prix de l’action comme si ces prévisions étaient déjà tenues.
Surévaluer une entreprise détruit de l’épargne, déçoit l’investisseur et le détourne d’investissements futurs, humilie l’entrepreneur non cynique et le fait critiquer les marchés financiers.
Ce risque de surévaluation peut être assumé plus facilement par l’investisseur professionnel que par l’investisseur individuel. La production de données de référence accessibles au plus grand nombre permettant de cadrer les processus de fixation des prix des actions serait très utile. (9)
Ce risque de surévaluation doit être traité car nous avons les structures de marché probablement les meilleures du monde (10), à tel point qu’elles sont utilisées dans plusieurs pays d’Europe, et celles-ci ne sont pas utilisées par les belles PME !
7. Surveiller et comprendre l’émergence des actifs numériques
Les Jetons constituent des supports de financement alternatif utilisant la technologie blockchain (11) sous forme de droit d’usage qui, au-delà des interrogations sur les crypto-monnaies qu’il faut acquérir pour jouir de ces droits, ont l’avantage majeur de déconnecter l’engagement financier d’une valeur de l’action. En effet le Private Equity, le Crowdfunding equity et les marchés financiers supposent que soit fixé le prix d’une action en prenant le risque que cette valeur soit surévaluée.
Les Jetons articulent leur prix en fonction d’un service, d’un droit d’accès, ou encore droit d’usage ce qui est très différent.
Cette déconnexion de la valeur d’une action devrait permettre un essor des actifs numériques, qui disposent déjà d’une législation sur leur comptabilisation et leur fiscalité. Une première entreprise a obtenu un visa optionnel, non obligatoire, de l’Autorité des marchés financiers pour une « offre au public de jetons » le 18 décembre 2019 et vient d’annoncer qu’elle avait terminé son ICO, initial Coin Offering, (12) le 1er juin 2020.
En conclusion :
- Dans le prolongement de la Loi PACTE, c’est par la mobilisation de l’épargne existante et la constitution d’une épargne salariale puissante auprès du plus grand nombre d’entreprises possible que les fonds propres des entreprises pourront être renforcés. Cette idée pourtant simple va à l’encontre d’intérêts considérables de financeurs publics et privés d’entreprises en France.
Pourtant, le cadre existe : la technologie de cotation, l’intelligence de régulation, un eco-système devant être de plus en plus renforcé avec des professionnels de l’évaluation. - Il est essentiel d’apporter aux investisseurs individuels des moyens aussi diversifiés que possible pour exercer leur liberté d’investir et de protéger leur épargne. On aurait tort de sous-estimer un certain réalisme de leur part (13) en les assimilant avec une certaine condescendance parmi les « joueurs de tiercé », attitude désavouée par le succès de l’entrée en Bourse de la Française des Jeux. Cette condescendance est aussi désavouée par l’apparition des crypto-monnaies en 2009 en réaction au système monétaire existant, et par le financement participatif en 2014 en France en réponse au manque de financement accessible aux petites entreprises. Les marchés financiers, qui appellent une action : « une action » et une dette : « une dette » ont perdu leur attrait pour le moment auprès des entreprises performantes. Espérons que le sens des mots, la réalité des chiffres, et probablement aussi certaines remises en question favoriseront le retour d’une source de financement en fonds propres précieuse pour les entreprises non cotées qui les conduisent à se régénérer sur un marché financier.
- Et surtout, inciter les français à investir dans les entreprises françaises et européennes est un moyen essentiel de reconstituer les fonds propres des entreprises, de réconcilier le social et l’économique, de se rappeler que le social est soutenable si et seulement si l’économie est suffisamment performante pour contribuer à ce que notre pays soit, comme une entreprise à progression raisonnée, en situation de tenir ses engagements.
(1) Sauf si les prêts sont convertis en fonds propres, ce qui est rarement bon signe car cela signifie que, en échange du non remboursement de sa dette, l’entreprise accepte le plus souvent une conversion de celle-ci en capitaux propres à un prix très bas de ses actions.
(2) « Innovation Jugaad » Diateino Editions 2013.
(3) Article 1100 du Code civil – créé par Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016
(4) Au début de ma vie professionnelle, fin des années 80, on retranchait tous les actifs incorporels directement des capitaux propres !
(5) « Valoriser le capital immatériel des entreprises innovantes » RB Editions 2020, par exemple.
Et depuis 2011 : Thésaurus Bercy : Référentiel français de mesure de la valeur extrafinancière et financière du capital immatériel des entreprises, produit à la demande du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie.
(6) Une somme investie à un taux de capitalisation annuel de 10% double en 7,3 ans.
(7) La profession d’évaluateurs d’actions d’entreprises et d’actifs connaît un réel essor en France depuis plus de dix ans, notamment avec le développement des opérations de financement et de retrait du marché financier d’entreprises cotées dont les méthodes et pratiques d’évaluation servent de référence. Pourtant, on ne compte pour ainsi dire pas d’actions de préférence cotées sur un marché financier dans notre pays.
(8) Nous classons l’industrie des start-up à part.
(9) Saluons l’initiative de la Cie des Conseils et Experts Financiers – CCEF qui a créé un observatoire depuis plusieurs années sur les Valorisations des entreprises non cotées et sur les Taux d’actualisation et Décotes de multiples de valorisation. www.ccef-net.
(10) Les analyses financières des entreprises entrant sur un marché financier avec un visa les autorisant à réaliser une offre publique devraient être disponibles et accessibles, comme leur nom l’indique, au public.
(11) Cf Bruno Lemaire expliquant l’approche de la blockchain aux Entretiens de l’Amf sur les crypto-actifs le 12 novembre 2018.
(12) blockchainfrance.net, par exemple, pour explications sur la blockchain et les ICO.
(13) Environ 150.000 investisseurs individuels se sont réintéressés à la Bourse en mars 2020 en raison du confinement, et aussi parce que le prix des actions a été perçu comme plus accessible après la baisse due au Coronavirus. Etaient-ils absents auparavant parce qu’ils sentaient les entreprises comme surévaluées ?